Patti Smith

“People have the power”, depuis le temps qu’elle enchante les foules sur cet hymne à la liberté, impensable de se la représenter autrement qu’en icône rebelle et romantique, la grande chaman du rock’n’roll made in CBGB (le cultissime club new-yorkais qui vit naître le punk au milieu des années 1970). Si la musique de Patti Smith parle d’elle-même, fait moins connu, dès 1967 ses silences se couchent à la surface de dessins tendineux, de polaroïds et films fantomatiques pour la première fois réunis à la Fondation Cartier. 'Land 250', du nom de son fidèle appareil vintage, est une exposition totémique alignant en vrac les reliques d’un culte poétique dédié au temps perdu, une part d’intimité habilement dévoilée sans confiner au tableau de chasse pour fans voyeuristes. Dans ce requiem en noir et blanc, le médium photographique donne une voix à la “Rimbaud warrior” quand elle n’a plus la force d’utiliser la sienne, trop affectée par la disparition des êtres chers. Une grosse pierre, des couverts, une paire de chaussons, pas n’importe lesquels : Patti Smith dresse une galerie de portraits métonymiques, invoquant la mémoire de ceux qui sont partis pour mieux rester. Constantin Brancusi, Brian Jones, Robert Mapplethorpe, Fred Smith, Virginia Woolf, qu’elle les aient connus personnellement ou pas, les grands esprits se rencontrent au hasard de pèlerinages spirituels la menant de Charleville à Berlin, des instantanés obsédés par la pierre et l’image christique : celle de la tombe, des statues qui peut-être prennent vie quand on ne les regarde pas. L’immuable est en proie à la fragilité, c’est ce que sous-entendent ces collections d’objets enfermés dans des vitrines au milieu d’un salon improvisé, entre quatre murs jalonnés de visions recueillies, de compositions enfantines prenant en chasse des mots impatients tracés au crayon noir. Sous un dais sereinement endeuillé Patti Smith redéfinit l’éternité rimbaldienne avec l’aval des anges : “C’est la mer mêlée à la lune.”