lettres de non motivation

Lettres de «non-motivation»

Articles / Mobilisations, luttes et solidarités
Date: 02 Fév 2005
Julien Prévieux répond à de vraies offres d'emploi en expliquant pourquoi il les refuse.
Par Marie LECHNER - Libération - Lundi 31 janvier 2005.

Depuis 2000, l'artiste Julien Prévieux, 30 ans, répond sans relâche aux offres d'emploi parues dans la presse ou proposées par l'ANPE. Avec beaucoup d'application, il décline l'une après l'autre les offres, expliquant aux entreprises que l'emploi proposé... ne l'intéresse pas. Faisant comme si ces annonces lui étaient personnellement adressées, il expose avec véhémence les raisons de son absence de motivation : rémunération indécente, mauvaise réputation de la boîte, poste trop éloigné, slogan inepte ou mise en page foireuse de l'annonce. Chaque lettre est prétexte à un exercice de style différent, l'artiste endossant une multitude de rôles (de l'illettré à l'érudit, du paranoïaque au surbooké, du Bartleby au pilote de ligne préférant «la voltige à haut risque aux métiers pantouflards») pour multiplier les arguments de son refus, révélant dans une veine tragi-comique l'absurdité de ce rituel.
«J'ai été confronté comme tout le monde à l'exercice fastidieux de la lettre de motivation, c'est le premier pas dans le monde du travail, le premier contact avec le discours de l'entreprise, là où toutes les règles commencent à être énoncées. Ecrire une lettre de motivation, c'est complètement schizophrène, on est obligé de s'oublier, de réfléchir à l'idée que l'entreprise a de son futur salarié et se réinventer en ces termes-là, analyse l'artiste. Je voulais tenter de renverser le rapport de force de cet exercice kafkaïen. Etre le grain de sable dans cette machine bien huilée. Jouer le dysfonctionnement et le provoquer en retour, afin de mettre en évidence ce dialogue de sourds.»

Si ces «lettres de non-motivation» semblent incongrues, les réponses des entreprises le sont à peine moins. La plupart envoient des réponses-types («vous avez toutes les capacités requises mais....»), certaines s'emploient à se justifier dans de longues missives personnalisées, comme le groupe de chimie Henkel spécialisé dans la lessive (deux pages). Julien accusait le groupe de pollution, légitimant ainsi son refus du poste. Henkel dit «regretter que (leur) offre d'emploi [l']ait offensé». «Bizarrement, la réponse est rarement ironique», souligne Julien. A l'exception peut-être de ce responsable des ressources humaines de la RATP qui écrit avoir «pris note de [sa] non-candidature».

Sa démarche ne fait pas toujours sourire. Sur le forum du site cadremploi.fr, où un édito (1) évoquait ses lettres de non-motivation, les réactions ont souvent été hostiles : «Beaucoup ont été choqués. La recherche d'emploi est le quotidien des gens qui se connectent sur ce site, le travail, pour eux, est une véritable religion.» Si d'aucuns les perçoivent comme une raillerie déplacée à une époque où le chômage va croissant, Julien se défend de toute moquerie. Ses lettres, en bousculant les règles du jeu du recrutement, renvoient les entreprises à leur propre contradiction : «Je voulais utiliser le système tel qu'il est : pas le détourner mais me réapproprier cet exercice formel, jouer avec. Même si ça n'a certainement pas changé les DRH d'un poil, peut-être que, pendant quelques minutes, ça aura modifié leur manière de voir les choses.»

Les lettres de non-motivation font écho à un projet plus ancien. Il y a quelques années, alors qu'il était aux beaux-arts de Grenoble, l'artiste se lançait dans l'excès de zèle inverse : il a arrosé les entreprises de la ville de lettres proposant gratuitement ses services : «Je leur disais que j'étais un jeune qui en veut, mais personne n'a voulu de moi. Je voulais travailler pour rien et je n'ai pas eu une seule réponse en retour.»

Aujourd'hui, Julien Prévieux continue d'écrire ses lettres, comme un travail de fond : il s'attaque désormais au marché étranger de la petite annonce, manière de pousser à bout le refus en l'internationalisant.

sylvie sur actuchomage.org a écrit:
Ma lettre de non-motivation à Ingeus

Ingeus, boite privée de reclassement, recherche actuellement des conseillers en insertion/emploi.
Il y a un an, libération m'a fait découvrir l'artiste Julien Prévieux, initiateur de la lettre de non-motivation. Sans avoir lu ses «non-candidatures», l'annonce d'Ingeus m'a donnée envie d'appliquer sa technique.
J'ai donc répondu…afin de décliner leur offre.
Bien entendu, je vous tiendrai au courant des suites...
Pour lire l'annonce :cadremploi
Voir le site : www.ingeus.fr

Objet : lettre de non-motivation

Abonnée aux alertes emails de cadremploi, j’ai pris connaissance de votre souhait de me recruter en tant que conseillère en emploi/insertion afin de participer activement au développement de votre implantation dans la région Ile-de-France.

Fort de ses expériences internationales et en particulier en Angleterre, pays coriace en matière de traitement des chômeurs, Ingeus a conquit le marché du reclassement privé.

En appliquant à la lettre les règles du marketing de l’emploi, Ingeus a su brillamment exploiter son réseau par l’intermédiaire de son Directeur France, ex-directeur Assedic de Normandie, et gagner un portefeuille de 6000 clients /chômeurs dans le Nord et la Seine Maritime sans même que l’Unedic n’éprouve la nécessité de lancer un appel d’offres !

En dépit de votre intérêt à mon égard, je tiens à vous signaler que le descriptif de vos méthodes d’accompagnement et de vos activités ne m’a pas convaincu :

- En googelisant le mot « ingeus », je suis directement tombée sur votre site. Alors que la recherche d’emploi se focalise sur le Oueb, vous, société prestataire de services RH, avez mis en ligne un site vitrine éternellement en construction et sans contenu, si ce n’est quelques vagues recettes de bonheur du parfait chercheur d’emploi.
- Vous notifiez que la transparence fait partie de vos valeurs fondamentales, or, je ne vois aucune information sur les résultats de vos expériences à Lille et à Rouen. Dois-je en conclure que vos taux de reclassements ne méritent pas une communication externe?
- Vous signalez ensuite «le professionnalisme et le travail d’équipe pour avancer ensemble» comme valeurs qui vous caractérisent et déterminent toutes vos actions. J’ai bien noté, dans vos exigences de profil requis «la maitrise du français, et de l'anglais impérativement». Malheureusement vos compétences dans les langues sont discréditées d’office à la lecture de phrases telles que celle-ci « Nos approche est fondée sur le suivi personnalisé de chacun pour l’aider à tirer le meilleur parti de ses ressources. »
- 15 ans d’expertise dans le secteur du chômage me permettent de vous confirmer que la maîtrise de l’anglais n’est pas un savoir-faire indispensable pour communiquer avec les chômeurs de la Région Ile-de-France.

Aujourd’hui, j’ai le regret de vous annoncer que je ne souhaite pas faire partie de votre équipe. Bien consciente qu’une prestation de placement et de reclassement dans l’emploi des bénéficiaires de l’ARE vous rapporte entre 2500 et 6000 euros, je ne participerai donc pas à votre enrichissement.

J’ai tenu personnellement à vous formuler une réponse et vous exprimer les raisons de ma non-motivation, en dépit d’un emploi du temps surchargé comme tout chômeur qui se respecte : actions de réalisation de mes projets professionnels et personnels ; mon implication dans l'exécution de tâches bénévoles dans le cadre de mouvements associatifs en conformité avec le règlement de l’Assedic, à savoir, que l'activité n'a pas pour conséquence de remplacer du personnel administratif et que je ne suis pas un ancien salarié de l'association ; l’éducation de mes enfants ; ma vie amoureuse ; mes quelques heures de vacation ; et enfin les divers tracas administratifs récurrents toujours liés à ma condition de chômeuse pour faire respecter les droits sociaux auxquels je peux prétendre, liste non exhaustive de mes activités, bien entendu.

Persuadée d’une parfaite inadéquation entre mon profil et votre poste, je reste à votre disposition pour recevoir toutes informations complémentaires concernant notamment :
- vos tarifs fixés pour l’accompagnement des bénéficiaires du RMI et des chômeurs de longue durée
- les résultats qualitatifs de vos précédentes actions
- vos recettes magiques pour la réussite d’un accompagnement autre que l’envoi de SMS, mail, que votre Directeur de France ambitionne et déjà largement exploités par tous les conseillers quelle que soit la structure.

Mes prétentions ne sont pas d’ordre salarial. Compte–tenu de mes besoins, je souhaite un revenu garanti à vie, à hauteur de 1500 euros mensuel pour démarrer (à réévaluer chaque année).
Ce montant est une estimation minimale, sous condition de l’obtention de la gratuité des transports, de la santé, du logement, de la culture, etc.

Vous remerciant de la publication de votre offre à mon égard, je prendrais néanmoins plaisir à vous lire.

Recevez l’expression de mes meilleures salutations.

Sylvie
www.inter-emploi.org

A l'exception peut-être de ce responsable des ressources humaines de la RATP qui écrit avoir «pris note de [sa] non-candidature

Si ces «lettres de non-motivation» semblent incongrues, les réponses des entreprises le sont à peine moins. La plupart envoient des réponses-types («vous avez toutes les capacités requises mais....»)

Ricky_Banlieue a écrit:pas d'exemples ? dommage